[PLAIDOYER InPACT] Pour une souveraineté technologique des paysans !
lundi 28 novembre 2016En favorisant l’autonomie des paysans par la réappropriation des savoirs et savoir-faire autour de l’outil de production des fermes, l’Atelier Paysan favorise une souveraineté technologique des campagnes. Nous affirmons qu’il est du ressort des paysans de questionner leurs outils de travail, machines et bâtiments, leur impact financier, agronomique et ergonomique. Le pôle InPACT s’est saisi de ces questions et les a compilées dans un premier Plaidoyer que vous pouvez utiliser et diffuser largement.
crédit photo : Lima Pix (Flickr)
Innovation techniciste et course à l’endettement en agriculture : Pas d’agroécologie sans souveraineté technologique des paysans !
L’outil de production des fermes, à savoir les machines, les bâtiments, les équipements, sont souvent restées des questions périphériques. Le Pôle InPACT a ainsi observé d’un bon œil que le Ministère de l’Agriculture identifie dès 2012 les agroéquipements comme leviers dans la transition agroécologique de l’agriculture française. Cela signifiait qu’on reconnaissait la nécessité de faire évoluer l’outil de travail des agriculteurs en lien avec l’évolution des pratiques agricoles. Ce constat de bon sens a cependant abouti en février 2016 à la diffusion du plan « Agriculture et Innovation 2025 », sur proposition de l’IRSTEA, de l’INRA, d’AgroParisTech et de l’ACTA, allouant plus de 10 Milliards d’euros au développement et au déploiement des technologies numériques, de la robotique et des biotechnologies dans le secteur agricole. Réponse technique à sens unique, mobilisant le même paysage d’acteurs ayant historiquement favorisé la standardisation et l’artificialisation de l’agriculture. Pourtant, d’autres solutions existent, plus économes pour les agriculteurs et les financeurs publics, plus adaptées aux besoins des agriculteurs, et qui vont dans le sens d’une souveraineté technologique.
Le Pôle InPACT rassemble à l’échelle nationale des organisations de développement agricole à but non lucratif, d’utilité sociale, qui soutiennent des formes d’agricultures durables, ouvertes sur la société et intégrées au territoire. Dans cette optique, le Pôle InPACT dénonce la répartition de l’enveloppe dédiée au développement d’une agriculture principalement techniciste pour ces 10 prochaines années. Nous nous inquiétons de l’allocation massive et prioritaire de fonds publics pour une Recherche et une Innovation adaptées à une agriculture de firme et dont les développements technologiques ne feront qu’approfondir les fondements mêmes de la crise agricole actuelle, à savoir l’endettement des exploitations et l’inadéquation à une agroécologie paysanne.
Car le choix de l’Etat de soutenir le déploiement de la robotique, du numérique et des biotechnologies ne correspond pas directement aux demandes des agriculteurs de nos réseaux, avis remontés depuis le terrain. Ces options technologiques sont avant tout défendues pour les agriculteurs dans la perspective de lancer des champions industriels nationaux, capables de prendre part à un marché mondial estimé à 70 Mds d’euros en 2020. Il est compréhensible que l’attrait pour ces nouveaux marchés pousse l’Etat à investir dans ces secteurs, mais les agriculteurs n’ont pas à être le débouché d’une industrie émergente. Ces technologies répondent avant tout aux appétits des industriels déjà en place, qui nous donnent en échange à rêver de promesses de mutations agricoles grâce aux technologies qu’ils développent.
La question n’est pas de savoir s’il faut ou non continuer à déployer le numérique, la robotique et les biotechnologies pour l’agriculture, mais d’évaluer à la fois leur pertinence pour le développement d’une agroécologie paysanne (dans ses trois dimensions de résilience écologique, économique et sociale), leur cohérence avec les agriculteurs sur le terrain, et l’ensemble des impacts prévisibles. Refuser ce questionnement revient à soutenir une fuite en avant techniciste et idéologique. En effet, toute innovation n’est pas bonne en soi, elle n’a pas naturellement des effets bénéfiques sur le bien-être des populations. (voir l’article de Sandrine Petit « Faut-il absolument innover ? A la recherche d’une agriculture d’avant-garde ». Courrier de l’Environnement de l’INRA (65), 2015).
Le Pôle INPACT s’inquiète qu’en France, les institutions garantes du développement de l’agriculture perpétuent des paradigmes socio-techniques et socio-économiques aujourd’hui caduques, qui, en promettant des emplois et des relais de croissance pour le secteur privé lucratif des agrofournitures, compromettent in fine les conditions de travail et de vie des agriculteurs. Le modèle agricole dit conventionnel, qui implique une course aux investissements et à l’agrandissement des fermes, tournées vers les marchés globalisées et l’agro-industrie, est une aberration économique, écologique et un désastre humain pour une large frange de la population agricole. Il est temps que les décideurs publics fassent preuve de volonté politique en passant outre les inerties d’un système aligné sur une trajectoire productiviste, ayant pour seule réponse, dans sa quête soudaine d’aménagement des conséquences négatives de son modèle productif, d’approfondir en réalité le verrouillage technologique.
Partant du même constat que le Ministère de l’agriculture sur la nécessité de développer des outils adaptés à la transition agroécologique, le Pôle InPACT a pris le temps d’analyser le contexte global des agroéquipements : quels acteurs publics et privés sont moteurs sur ce secteur ? Quels modèles de développement adoptent-ils et quelles sont les conséquences sur la structure de l’agriculture française ? Quelles stratégies certains agriculteurs mettent-ils en place pour contourner l’endettement systémique et l’incitation au suréquipement ?
Le Pôle InPACT propose un certain nombre de recommandations pour sortir d’un modèle d’innovation fordiste qui institutionnalise un partage des tâches entre scientifiques et équipementiers chargés de concevoir les innovations, vulgarisateurs chargés de les diffuser, et agriculteurs censés les adopter. Le Pôle InPACT propose une participation directe des agriculteurs à la conception des outils dont ils auront l’usage, tout en veillant à intégrer des critères agronomiques, écologiques, économiques et ergonomiques exigeants.
Dans un contexte de recherche d’efficacité de la dépense publique, le Pôle InPACT demande à l’Etat – via une note explicative ci-jointe – de questionner l’enveloppe de 10 Milliards d’euros qu’il semble attribuer sans réticence aux secteurs du numérique, des biotechnologies et de la robotique. Par les observations et les analyses produites par de multiples acteurs de terrain représentés par le Pôle InPACT, il semble cohérent et nécessaire de financer les processus vivants et créatifs d’innovation collaborative et des dispositifs d’économie circulaire pour les agroéquipements (notamment la conception intégrée sur les territoires, le recyclage et réemploi de matériels fonctionnels, l’autoconstruction). Des expériences collectives ouvertes ont été menées dans les campagnes : les connaissances et les savoir-faire générés présentent des caractéristiques de performativité évidentes pour la profession agricole, pour sa mutation vers de nouveaux systèmes agricoles performants, autonomes et résilients. Par des effets d’échelles et d’inertie administrative, ces résultats tangibles et prometteurs ne sont que trop peu visibles et/ou regardés par les décideurs politiques. Leur extension, et une diffusion plus large de ces succès impulsés par les acteurs du terrain produiraient des transformations de pratiques agricoles efficaces et robustes dans le temps ; en étant basées sur la participation individuelle et la mobilisation collective des agriculteurs.
Il est nécessaire de repenser l’allocation d’une partie des 10 Milliards d’euros du plan « Agriculture et Innovation 2025 » : même si les nouvelles technologies numériques, robotiques ou les biotechnologies apparaissent comme des investissements financiers intéressants à moyen terme, elles ne constituent pas pour autant une réponse aux problématiques agricoles du XXIème siècle. De ce fait, elles ne peuvent légitimement pas capter l’ensemble de l’enveloppe destinée au développement de l’agriculture pour ces 10 prochaines années. Il est nécessaire d’appuyer les structures de développement rural, réseau InPACT et ONVAR compris, qui portent une méthodologie efficace d’accompagnement à l’innovation et à l’émergence de solutions technologiquement et socialement novatrices dans les territoires français.
Près de 10% des agriculteurs sont représentés par le Pôle InPACT. Ces agriculteurs et leurs organisations souhaitent, dans un esprit d’ouverture à la société civile, que leurs initiatives - pour une meilleure intégration de l’intérêt général dans la conception et la diffusion des agroéquipements, c’est-à-dire une souveraineté technologique adaptée à la transition agroécologique et à la pérennité des structures socio-économiques agricoles qu’elles incarnent - soient prises en considération par les organisations étatiques qui les représentent démocratiquement.
Vous pouvez lire les différents chapitres en cliquant sur chacun ci-dessous :
- Vous pouvez réagir sur le Forum de l’Atelier Paysan et proposer également de compléter ces deux versions des plaidoyers, par votre expérience, vos lectures. Vous pouvez aussi témoigner de votre prise en main de ces textes et la diffusion que vous souhaitez en faire.
Lien vers le forum : http://forum.latelierpaysan.org/post4628.html#p4628
Le pôle InPACT (Initiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale) national est une plateforme associative composée de la FNCIVAM, l’interAFOcG, le MRJC, Terre de Liens, l’AFIP, Solidarités Paysans, la FADEAR, le MIRAMAP, la fédération Accueil Paysan, L’Atelier Paysan et Nature et Progrès.
L’ensemble de ces réseaux souhaite promouvoir une agriculture plus durable et de proposer des alternatives concrètes aux agriculteurs sur leur exploitation. Sa mission est de :
- Élaborer et diffuser des références sur l’agriculture durable ;
- Accompagner au changement de pratiques ;
- Faire la promotion de l’emploi et de l’installation ;
- Développer des liens entre agriculture et territoires. L’ensemble de nos réseaux touche environ 50 000 agriculteurs et emploie 400 animateurs et chargés de missions.
Le pôle InPACT a élaboré un « socle commun de la durabilité », détaillant quatre critères :
- L’efficience économique : systèmes de production économes, revenus décents pour l’agriculteur.
- L’équité sociale : partage des richesses, du droit à produire, du pouvoir de décision.
- La protection de l’environnement : préserver la fertilité des sols, les paysages, la qualité de l’air et de l’eau.
- La culture et l’éthique : respect des générations futures, des communautés paysannes et rurales ; gestion participative de l’espace et des modes de production de qualité.
Le réseau InPACT souhaite apporter son expertise sur les « agricultures durables », les circuits courts, l’accueil et l’installation en milieu rural ainsi que son expérience sur les relations agriculture et territoire.
inpact@globenet.org
www.agricultures-alternatives.org
Adresse :
InPACT
c/o FADEAR
104 rue Robespierre - 93170 Bagnolet