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Nous voulons construire plus que des barrages

mardi 18 juin 2024
Nous voulons construire plus que des barrages

L’Atelier Paysan se situe naturellement plus volontiers du côté des mouvements sociaux que des rendez-vous électoraux. Pourtant, conscients du danger immense que représentent la poussée du RN et sa possible arrivée au pouvoir, nous apportons aujourd’hui clairement notre pierre aux fondations du nouveau front populaire.

Entre les trois blocs - la macronie, l’extrême-droite et le front populaire - pas de tergiversations et nul besoin de mettre des conditions préalables : l’urgence est là. Partout, nous appelons à rejoindre les mobilisations contre l’extrême droite, à voter et à se tenir prêt-es pour la suite. Mais si nous appelons au vote, c’est avant tout pour garder la possibilité de parer au pire : la perte massive et brutale de libertés.

Car dès le 8 juillet, comme nous l’avons toujours fait, nous serons sur le terrain, au coeur des territoires dans lesquels nous vivons, travaillons, cultivons et luttons, pour engager les rapports de force nécessaires à un véritable changement de société. 

Notre action s’inscrit dans le temps long. Depuis 15 ans, nous construisons une alternative efficace, dont nous percevons l’impuissance à transformer le modèle de production de notre alimentation et au-delà à transformer notre société toute entière. Nous savons que rien ne sera concédé par la bourgeoisie qui domine maintenant de façon écrasante l’économie, les médias, et le pouvoir. Aussi nous appelons dès le lendemain des élections à engager tous les moyens nécessaires pour lutter contre le mépris social, l’accaparement de l’eau et des terres, la destruction des ressources et l’étau du complexe agro-industriel - État, FNSEA, firmes, banques, assurances, et leurs institutions satellites.

En zone rurale, le « malaise social » [1] sur lequel capitalise le RN s’est abreuvé à la source intarissable de l’élimination économique des paysan-nes. Nous avons vu la crise alimentaire se développer, un-e Français-e sur deux sautant désormais des repas pour des raisons économiques [2], dans les campagnes comme dans les quartiers populaires, où cette violence alimentaire vient s’ajouter aux violences policières. Nous avons vu se poursuivre de façon effrénée le même type de politiques agricoles, menant chaque jour à la disparition de davantage de fermes, par les traités de libre échange, l’accaparement des ressources, la mise en concurrence permanente au plan international et la prise en étau des paysan-nes entre fournisseurs amont (les vendeurs de pesticides, de semences, de machines, et les fournisseurs de services) et acheteurs aval (les industries agro-alimentaires et la grande distribution...). 

Cette mise sous pression permanente, couplée à une politique intentionnelle de dégradation des services publics pour mieux privatiser, a offert un terreau fertile à l’extrême-droite : quelques jours avant le scrutin des européennes, une étude montrait que 32,5 % des agriculteurs et agricultrices avaient l’intention de voter RN ou Reconquête, dont le score montait à 40 % dans l’ensemble du milieu rural [3].

Surfant sur les mobilisations du début d’année, sur la détresse agricole et le sentiment d’abandon des territoires ruraux - où l’on perçoit, plus que dans les bureaux du ministère de l’Agriculture, l’importance de maintenir le tissu social et économique que s’emploie à détruire le complexe agro-industriel -, le RN a fait de l’agriculture un de ses chevaux de bataille électoraux, multipliant les manœuvres de séduction, en totale contradiction avec son programme économique et social [4]. Il faut le répéter : le RN ne sera jamais la solution, ce n’est pas dans leurs intentions, et certains de ses électeurs et électrices pourraient bien en être les premières victimes.

Ne soyons pas dupes : une élection ne suffira pas à faire barrage à l’extrême droite et à cette idéologie nauséabonde que les précédents gouvernements de la droite, de la gauche et du centre ont largement contribué à installer. En appelant à faire barrage au RN à chaque élection, ils ont tous "en même temps" appliqué des politiques libérales au plan économique, réactionnaires au plan social, rétrogrades au plan écologique, répressives face aux mobilisations. Ils ont tant et si bien foulé au pied les électrices et électeurs venu-es en renfort, que ces sursauts ont été moqués et leurs artisans nommés « peuple des castors ».

Mais à l’Atelier Paysan nous respectons le peuple et nous respectons les castors. Nous savons que leurs barrages ne visent pas tant à endiguer qu’à édifier et irriguer, et c’est ce que nous nous engageons à faire pour rassembler, construire et mobiliser, au-delà de nos cercles, dans une perspective auto-gestionnaire et populaire. Nous serons présent-es, sur ce sujet comme sur tant d’autres, pour construire d’autres politiques publiques agricoles et que nos barrages soient enfin à la hauteur.


1. « Luc Rouban, politiste : "La généralisation du vote RN traduit un malaise social qui dépasse la question du racisme" », Le Monde, 11 juin 2024
2. « Un Français sur deux saute des repas, d’autres renoncent à aller chez le coiffeur… Les chiffres marquants du rapport de l’Ifop sur l’inflation », L’Obs, 1er juin 2023 
3. Pierre-Henri Bono et François Purseigle, « Les agriculteurs et les européennes : un isolat électoral encore repérable, mais de plus en plus bigarré », Note de recherche, Élections européennes 2024, vague 4 de l’enquête électorale, note 11, mai 2024, 13 p.
4. Voir « Sur l’agriculture, les lignes erratiques des votes du RN », Pauline Graulle, Manuel Magrez et Amélie Poinssot, Mediapart, 2 mars 2024