Accompagner des processus de R&D participative : bilan de l’axe 1.2

L’Atelier paysan

« Administration du désastre et soumission durable »
Le sous-titre du livre de Riesel/Semprun résume assez bien ce qui se passe au niveau du machinisme en France, depuis des décennies. En effet, à l’heure où le recensement agricole fait état de la disparition de 100 000 paysan·nes ces 10 dernières années, à l’heure où la Cour des comptes épingle Ecophyto pour sa gabegie (plus d’un milliard d’euros d’argent public dépensé au lieu de 800 millions au départ, initialement en vue de réduire de moitié l’usage des pesticides en France, avec pour bilan, en réalité, 15 ans après le Grenelle de l’environnement, une augmentation de consommation de +15% !), la réponse amenée par la puissance publique est d’orienter massivement subventions et aides en tout genre vers la robotique, le numérique et la génétique.
Autrement dit, le choix politique institutionnel est actuellement de poursuivre massivement dans la direction d’une inflation technologique au service d’une industrialisation forcenée, responsable de la disparition des paysan·nes et des scandales alimentaires à répétition. Cette situation n’est pas nouvelle, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles est né L’Atelier Paysan il y a plus de 10 ans. Mais elle s’enkyste.

Crédit : AP.

A rebours : accompagner l’innovation paysanne
L’activité de R&D à l’Atelier paysan s’inscrit précisément à rebours de cette escalade énergétique et technologique. Il s’agit, bien au contraire, de rendre les paysans et paysannes les plus autonomes possible vis-à-vis des technologies employés sur leurs fermes.
Dans la suite des accompagnements à la R&D participative menés dans le cadre du projet Usages (2015-2018), l’Atelier paysan a souhaité poursuivre de 2018 à 2021 l’accompagnement de groupes de paysans et paysannes dans la conception d’outils et bâtis agricoles répondant à leurs besoins et aux enjeux d’adaptation aux dérèglements climatiques. Il s’agissait également sur cette période de réaliser le suivi des projets lancés les années précédentes pour intégrer les modifications apportées par les usagers et usagères via leurs pratiques.

Légende : processus de conception d’un outil avec l’Atelier paysan, ici d’un décortiqueur.

L’activité de R&D est considérable dans sa diversité et ses réalisations. On peut tenter de la caractériser comme suit.

Des outils pour renforcer et développer les pratiques agroécologiques
C’est une constante qui s’inscrit dans la prise en compte des modes de production (agriculture biologique très majoritairement) mais aussi dans les grandes problématiques de réchauffement climatique et donc de contraintes supplémentaires pour assurer une production.
Ainsi, on peut illustrer le propos au travers d’outils comme le duo Roloflex /strip-till en maraîchage (qui vise à permettre la mise en place facilitée d’itinéraires techniques à base d’engrais verts écrasés et utilisés comme paillage, pour limiter la montée en température des sols, maintenir l’humidité au niveau des plantes, et apporter de la matière organique au sol).
Notons également les nouveaux types de semoirs à disques (montés sur dents double spires ou sur bras poussés) développés en viticulture pour semer des couverts en inter-rang, selon les itinéraires techniques des viticulteurs (sols nus ou enherbés). La planteuse d’arbre s’inscrit évidemment dans une stratégie de développement de l’agroforesterie.

Au-delà des nouveaux outils, soulignons également le caractère « continu » de la R&D : le vibroplanche (l’un des premiers outils développés pour les planches permanentes lors de l’émergence de l’Atelier paysan) a fait l’objet d’un profond renouvellement. En effet, une version « à étoiles » permet de l’utiliser désormais dans une plus grande variété de conditions de sols.

Notons bien sûr également, un développement affirmé de solutions mécaniques sur les aspects culturaux centraux :

• pour se passer de pesticides : éléments de désherbage (étoiles de binages en maraichage, étoiles de boudibinage, modules de tontes sur le rang en viticulture, etc…), outils de désherbage (herse étrille, bineuse guidée hydraulique,…) ou d’aide à la gestion des paillages (roll-n-roll par exemple)…
• pour épandre et enfouir de la matière organique : épandeurs à fumier (maraichage, viticulture), bêches roulantes

Un travail conséquent sur les motorisations alternatives
Par volonté de réduire leur dépense au pétrole sur la ferme, de limiter leurs investissements à l’installation ou d’utiliser des machines plus légères et maitrisables sur le plan mécanique, des paysans et paysannes prospectent d’autres solutions que l’usage systématique du tracteur.
Les outils à assistance électrique sont une première voie explorée (Chtit’bine, récolteuse de PPAM). Sans omettre que l’électrique ne permet pas de s’affranchir d’une logique extractiviste (métaux rares, cuivre, etc…), il s’agit néanmoins d’explorer des solutions de travail moins dépendantes des énergies fossiles.
La traction animale est une autre piste. Il s’agit alors d’identifier les types de travaux faisables (travaux superficiels du sol) et imaginer des outils ergonomiques. Un gros travail de R&D a été mené pendant la durée du projet sur le POP 4, un porte-outil polyvalent à 4 roues. Conçu pour des exploitations de petites et moyennes surfaces, il permet de travailler en enjambant la planche de cultures avec différents types d’outils pour le travail du sol.

Dans les deux cas, une contrainte particulière pèse sur les outils destinés à ces deux types de motorisation : une capacité de traction limitée ce qui engendre un besoin de penser la R&D plus particulièrement en terme de rapport poids/puissance. Par ailleurs, il s’agissait d’accompagner l’émergence d’outils compatibles avec des itinéraires techniques innovants, en particulier les planches permanentes. La Chtit Bine, tout comme le POP4, permettent ce genre de conduite technique.

Une recherche de réappropriation de la valeur ajoutée en post-récolte et sur produit fini
Ceci est remarquable particulièrement dans les travaux de R&D de meunerie / boulangerie : épierreur, décortiqueur, brosse à blé, four à pain 100, four à pain 150… autant d’outils permettant de développer une activité de production de farine et/ou de pain, et d’ainsi mieux valoriser sa production de céréales.
On peut également percevoir cette dimension dans certains outils d’élevage : les outils destinés à l’aviculture notamment permettent le développement d’une petite activité d’élevage de pondeuses et de valorisation de sa production en direct, tout en respectant les contraintes réglementaires (poulailler mobile, mireuse, etc…).
Enfin, la colonne de tri densimétrique et la batteuse permettent aux producteurs de s’autonomiser sur la question des semences, mais aussi de développer une activité de vente.

Légende : l’épierreur, un outil inspiré d’une ancienne table d’épierrage à labyrinthe améliorée et motorisée. Cérdit : AP.

Une grande diversité de demandes
Il est à noter la grande diversité de provenance des demandes d’accompagnement parvenues à l’Atelier paysan sur la durée du projet. En termes de « filières », dans les 3 dernières années du projet, de la R&D a été menée en maraichage, viticulture, production de semences potagère, plantes aromatiques et médicinale, élevage, agroforesterie, meunerie/boulangerie, notamment. Des sujets ont été abordés de manière complètement transversale : motorisation électrique, traction animale, développement d’outils pour un public féminin.
Sur le plan territorial, l’action de l’Atelier Paysan a porté sur l’ensemble du territoire métropolitain, mais aussi en outre-mer (notamment à la Réunion : illustration par la canne à semer et le semoir manuel, mais aussi la planteuse à ananas).

Légende : la planteuse, ici pour les ananas, est un outil tracté d’assistance à la plantation pensé pour diminuer la pénibilité avec un travail en position semi-couchée sur des banquettes ergonomiques. Crédit : AP.

Un accompagnement pour plus d’autonomie et pour faire face aux enjeux sociaux et climatiques
Accompagner des dynamiques de R&D paysannes permet aux paysans et paysannes de monter en compétences sur la maîtrise des travaux de l’acier et d’être plus capables de construire les outils les plus adaptés à leurs contextes et objectifs culturaux. Les outils ainsi créés, accompagnés du savoir-faire pour les réparer et les faire évoluer, participent à abaisser considérablement les coûts de mécanisation des fermes tout en répondant aux enjeux sociaux et climatiques actuels. Par ailleurs, travailler sur des démarches de R&D de manière collective et ascendante participe aussi à recréer du lien entre producteur·rices à travers les interactions locales que ces démarches génèrent (curiosité, échanges technique, prêt d’outils, esprit plus libre pour imaginer de nouveaux itinéraires techniques…).

Pour nos organisations et nos partenaires

• Continuer à orienter l’accompagnement de la R&D paysanne sur des enjeux climatiques et travailler sur des applications concrètes adaptées aux différents territoires (couverture de sol, semis sous couvert, alternatives au tracteur).
• Continuer à orienter l’accompagnement de la R&D paysanne sur des enjeux sociaux de conservation de valeur ajoutée sur les fermes et de revenus paysans (par exemple en travaillant sur les problématiques de transformation et de post-récolte).

Pour des politiques publiques

• Soutenir financièrement la formation et l’auto-construction d’outils agricoles pour des changements de systèmes vers des pratiques agro-écologiques et une réduction de la pénibilité au travail pour les paysans (ergonomie).

Tous les plans et tutoriels relatifs aux outils issus de travaux de R&D paysanne participative pendant le projet UsageR·E·s sont à retrouver à cette page : https://latelierpaysan.org/Productions.