Dermatose Nodulaire Contagieuse : l’abattage systématique, symptomatique d’une agriculture industrielle
jeudi 24 juillet 2025
Depuis quelques jours, l’État impose l’abattage systématique de troupeaux entiers de bovins là où un cas de dermatose nodulaire contagieuse est détecté. Cette maladie se transmet aux animaux par des insectes (taons, mouches) et peut impacter la production et la compétitivité de « la Ferme France » mais elle ne présente aucun risque pour les humains. On ne peut que constater que le « principe de précaution » est une nouvelle fois appliqué selon une géométrie variable, au moment même où les parlementaires et le gouvernement cherchent à réintroduire via la loi Duplomb des pesticides parmi les plus dangereux pour la biodiversité, les agriculteur·ices et la population.
Comme le rappelle notamment la Confédération Paysanne, d’autres stratégies de lutte contre cette épizootie sont possibles : l’abattage ciblé des animaux malades couplé à une politique vaccinale ont donné de très bons résultats ailleurs [1]. La méthode privilégiée par les autorités, l’abattage systématique, vient en fait illustrer comment pandémies animales et élevage industriel sont liés, pour le plus grand malheur des paysan·nes.
En 2020, quelques jours à peine avant que la Covid-19 et les mesures de confinement ne balaient le débat public, l’ONG GRAIN publiait un dossier intitulé « L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série » : une étude de cas sur la vague de peste porcine africaine (PPA) montrant comment les fermes-usines et le commerce mondialisé de viande industrielle furent les principaux vecteurs de diffusion des maladies en Russie et en Europe de l’Est, et comment les multinationales de la viande ont profité des mesures radicales de lutte qui frappèrent la paysannerie [2].
Ici, en France, la situation peut sembler différente, l’abattage préventif se « limitant » aux cheptels où un cas est identifié. Mais une même logique sous-tend ce type de stratégie sanitaire : la considération des troupeaux comme un simple « capital » substituable par un autre. Des têtes de bétail pourraient remplacer celles abattues, sous réserve que les compensations financières soient à la hauteur. Le troupeau est-il d’une génétique particulièrement recherchée ? Il suffit dès lors de valoriser cela à la hauteur de l’investissement effectué, comme pour toute autre technologie.
Cette logique d’économiste, qui raisonne selon un principe d’interchangeabilité en fonction d’une valeur marchande, méprise la réalité de l’élevage paysan. Elle ignore le rapport sensible de l’éleveur ou de l’éleveuse à ses bêtes, elle balaie le patient travail de sélection d’un troupeau : elle considère des vaches comme de simples « unités gros bovins » remplaçables par d’autres, dès lors que l’État ou une assurance privée verserait une indemnité compensatoire.
Nous sommes en 2025 et il faut le rappeler plus que jamais : tout ne se compense pas. Lorsqu’un paysan ou une paysanne perd l’intégralité de son troupeau, c’est le résultat d’années de travail et de passion qui part dans les fumées de l’entreprise d’équarrissage. C’est le sens même accordé à cette activité qui est traité avec un mépris technocratique. Et c’est souvent une vie professionnelle mais aussi intime qui se brise, et une ferme de plus qui part à l’agrandissement.
Cette « crise dans la crise » survient au moment-même où des chiffres officiels [3] viennent confirmer une fois de plus l’effondrement de l’élevage bovin en France : le ministère de l’Agriculture estime en effet que 17 % de fermes laitières et 9 % d’élevages de vaches allaitantes ont disparu entre le recensement de 2020 et l’enquête « Structures » de 2023 – et encore, sans compter toutes les petites fermes considérées comme des « micro-exploitations ». Des fermes en moins et, malgré la concentration croissante des exploitations, une diminution du cheptel : respectivement -6 et -7% en seulement trois ans.
En se bornant à procéder à de l’abattage systématique, les autorités font une fois de plus le choix de sacrifier des paysannes et des paysans, et leurs savoir-faire, sur l’autel de la compétitivité agricole industrielle.
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Notes :
1. Voir « Dermatose Nodulaire Contagieuse : Halte à l’abattage total ! Pour une gestion sanitaire juste, humaine et concertée : Lettre ouverte à l’attention des élu.e.s, du monde vétérinaire et scientifique et de la société civile », Confédération paysanne, 23 juillet 2025
2. « L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série », GRAIN, 11 mars 2020
3. « Enquête sur la structure des exploitations 2023 », Chiffres & données n° 2025-11, Agreste, juin 2025.