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« Le monde agricole est encore un espace dominé par les hommes »

Alexis Annes, agronome et enseignant chercheur en sociologie à l’école d’ingénieurs de Purpan (INP Toulouse), travaille sur les questions de genre et d’agriculture depuis une dizaine d’année, aujourd’hui au sein du laboratoire Lisst-Dynamiques rurales. Il revient pour les partenaires de la MCDR UsageR·E·s sur la place des femmes dans l’agriculture. La médiation entre partenaires de la MCDR UsageR·E·s et chercheur-ses est réalisée par l’Atelier des jours à venir, une coopérative qui accompagne des projets de recherche participative. Son rôle est d’accompagner la formulation d’un questionnement, d’identifier des chercheur-ses susceptibles d’y répondre et d’aider à la mise en place de projets de recherche impliquant les différents acteurs.

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Que nous dit la recherche de l’évolution des rapports de genre dans l’agriculture ?
Quand on parle de féminisation de l’agriculture et qu’on replace cela dans un contexte historique, il y a beaucoup de débats sur leur place réelle. Ce qui est certain c’est que les femmes sont présentes dans l’agriculture depuis bien longtemps mais qu’on peut distinguer en Occident la période d’avant la modernisation agricole - quand la femme était subordonnée y compris légalement au chef de famille - et celle d’après.
Après 1945, leur rôle est devenu plus complexe. On a mis en avant le couple et le modèle à deux unités de travail (UTH), avec un discours égalitaire en rupture avec le passé. Mais les pratiques sont restées inégalitaires, on le voit au statut d’agriculteur réservé aux hommes, à la répartition des tâches sur les fermes, aux revenus...
Les travaux « domestiques » ont été invisibilisés. C’est aussi une période qui a éloigné les femmes de la production, alors qu’elles pouvaient être assez présentes. Elles ont été cantonnées à des activités dites de support et vues comme secondaires. Des travaux ont montré depuis que le travail des femmes a pourtant été essentiel, notamment dans l’évolution de l’agriculture.

Qu’ont changé la remise en cause de la modernisation agricole et les nouvelles attentes sociétales ?
Les taches dites féminines sont redevenues visibles, notamment l’accueil ou la transformation, elles s’en sont saisi car ces activités étaient construites et identifiées comme féminines. A partir des années 2010, des publications et articles de presse mettent en avant des femmes agricultrices. Aujourd’hui, un tiers des actifs agricoles sont des femmes contre 8% en 1970.
Cela se traduit aussi au niveau des cheffes d’exploitation et des installations de moins de 40 ans : un quart sont des femmes. Elles ont tendance à pratiquer l’agriculture de manière différente, avec plus de diversification. Dans les exploitations mixtes, aussi, il y a plus de transformation ou de types de production.

Quelles conséquences ont eu ces transformations pour les femmes ?
Quand on fait de la recherche, on peut décrire les choses mais aussi être dans une démarche critique. On s’est demandé ce que ce changement apparent de place dans le monde agricole impliquait pour les femmes sur les fermes et dans leur travail. On a décliné cela en plusieurs questions que l’on a exploré : quelle est la place réelle des femmes au sein des exploitations ?
Est-ce que l’ouverture du statut d’agriculteur aux femmes signifie plus d’égalité ? Est-ce qu’elles participent aux décisions ou sont co-décisionnaires ? Est-ce qu’elles dépendent de leur mari ou conjoint pour rentrer dans l’agriculture ? Est-ce qu’elles ont des difficultés particulières pour s’installer ? Est-ce qu’elles restent dans des activités perçues comme féminines ? Quelle est leur place au sein des organisations agricoles ?
Nous avons été sur le terrain et fait environ 80 entretiens de femmes impliquées dans des activités de diversification agricole. Car c’est ce qui est le plus visible, ce que l’on met en avant comme étant le nouveau visage de l’agriculture.

Quels sont les inégalités qui subsistent selon vos travaux de recherche ?
Les femmes rencontrées revendiquent le statut d’agricultrice ou de paysanne plus que celui d’épouse ou d’aide familiale et rentrent dans le métier par choix personnel ou de couple.
Ce n’est pas anodin par rapport à l’historique de domination des femmes. Elles rencontrent toutefois des difficultés particulières par rapport aux hommes pour s’installer et accéder au foncier y compris dans les transmissions familiales ; ont plus de difficultés face au coût d’une d’installation car elles ont moins de ressources propres ou d’appui des bailleurs ; bénéficient moins de la Dotation jeunes agriculteurs car elles sont plus nombreuses à s’installer après 40 ans, qu’elles ont de plus petites surfaces ou des compétences non reconnues par un diplôme.
On se rend compte aussi que ces femmes, même visibles, ont des difficultés pour prouver leur capacité à « tenir une ferme » et à faire ce métier. Le monde agricole est encore un espace dominé par les hommes.

Les difficultés rencontrées par les femmes sont aussi liées au fait qu’elles soient nombreuses à ne pas venir du monde agricole...
On retrouve effectivement des installées qui ne viennent pas du monde agricole, qui ont des diplômes, viennent de la ville, ont déjà eu une autre vie. C’est aussi une façon d’expliquer la diversification car ces personnes ont eu une autre carrière dans le service, le commerce ou autre. Elles mettent à profit d’autres compétences. Il y a bien une question de genre mais elle s’entrecroise avec la question des hors-cadre familiaux (HCF).
On peut quand même observer qu’au sein des HCF, c’est plus compliqué pour les femmes. Les paysans, consciemment ou non, ont par exemple tendance à céder leurs terres à des hommes. Elles sont aussi beaucoup de mal à se faire entendre dans les organisations agricoles.

Est-ce qu’il y aurait des particularités de l’agriculture féminine ?
Les femmes adoptent souvent une autre façon de travailler : les exploitations sont plus petites et les productions à plus forte valeur ajoutée. On remarque une forte capacité à innover et on a cherché des raisons à cela. Ce serait plutôt pragmatique car elles ont moins de foncier ou de ressources et doivent faire avec, tester des choses, commencer à petite échelle... Les femmes font clairement évoluer la conception du métier d’agriculteur.
Mais est-ce que l’on ne rend pas seulement visible des choses qui existaient avant ? Est-ce qu’elles ne sont pas toujours cantonnées à certains types d’activités ? Dans les exploitations mixtes, on retrouve souvent les mêmes schémas avec l’homme à l’extérieur sur la production et la femme à l’intérieur - y compris pour les tâches domestiques - et sur la vente.

Pour aller plus loin :


Agricultrices et diversification agricole : l’empowerment pour comprendre l’évolution des rapports de pouvoir sur les exploitations en France et aux États-Unis, Alexis Annes et Wynne Wright, Cahiers du Genre 2017/2 (n° 63).