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Paysan.ne.s en situation fragile : bilan de l’axe 1.3.3

Bilan du travail réalisé sur l’axe 1.3.3 "Paysan.ne.s en situation fragile soi-même pour se donner sens et marges d’action".

Partenaires impliqués

L’Atelier paysan, Solidarité paysans national et Solidarité paysans 11.

Contexte et objectifs

Les ravages humains de l’industrialisation de l’agriculture
Depuis les années 1960, les lois d’orientation et les politiques agricoles ont posé les bases du surendettement. Poussé∙es à s’agrandir, se spécialiser et se moderniser, les paysannes et paysans ont massivement emprunté pour financer de lourds investissements. Beaucoup se retrouvent dans des situations économiques fragiles : prix de vente peu rémunérateurs et charges mensuelles importantes pour acheter l’alimentation des animaux, les engrais et pesticides induits par une agriculture toujours plus industrielle.
Les subventions inégalement réparties de la Politique agricole commune (PAC) ne compensent pas ces difficultés et l’emprunt s’impose comme unique moyen d’éponger les dettes en cas d’incident économique, sanitaire ou climatique. Cette course à l’investissement et à l’endettement est accélérée par une fiscalité favorable à l’achat de matériel neuf, toujours plus gros et toujours plus cher. Ces difficultés financières entraînent des situations de détresse et des tensions au sein des couples et des familles et poussent parfois au pire.

Et s’il était possible de redonner des marges de manœuvre par le faire ?
C’est l’ambition du partenariat entre l’Atelier paysan et Solidarité paysans au sein du projet UsageR∙E∙s. Dans la lignée du travail de Solidarité Paysans sur l’agroécologie et le changement des pratiques pour favoriser le redressement des exploitations, les partenaires du projet ont souhaité explorer la piste du faire soi-même pour faire face aux difficultés et retrouver de l’autonomie.

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Réalisations

Mieux se connaître pour agir ensemble
Les premiers mois du projet ont été consacrés à des échanges entre partenaires pour mieux comprendre et connaître l’accompagnement de paysans et paysannes en situation de difficultés. L’association nationale Solidarité Paysans fédère 35 associations locales qui agissent dans 64 départements. Bénévoles et salarié·es accompagnent chaque année 3 000 familles pour faire valoir les droits des agriculteurs et agricultrices en justice et préserver l’emploi dans les fermes. La phase de repérage et de remontées au sein du réseau de Solidarité Paysans a fait émerger des besoins d’accompagnement prioritairement sur du bâti agricole : aménagement ou construction pour mettre en place de nouvelles unités de transformation, problèmes avec des bâtiments existants vétustes ou souffrant de malfaçons… C’est finalement la situation d’une apicultrice de l’Aude (11) qui est désignée pour mettre en place un accompagnement pilote.

L’accompagnement-pilote dans l’Aude
Flore est accompagnée par l’association locale de Solidarité Paysans. Problèmes de santé, de logement et d’infiltrations dans la miellerie se sont conjugués ces dernières années, plaçant l’apicultrice dans une situation délicate. Après plusieurs échanges et des passages à la miellerie, l’accompagnement s’oriente vers la réalisation d’une chambre chaude autoconstruite en panneaux-sandwich.
L’équipement, simple à fabriquer et peu coûteux, lui permettra de travailler plus confortablement et d’éviter de perdre du miel du fait de l’humidité du bâtiment. Démontable, cette chambre chaude n’impacte par ailleurs pas la structure du bâti, élément important pour les démarches ultérieures que compte engager l’apicultrice.

L’accompagnement est réalisé en deux temps :

  • la participation de Flore à une matinée collective ’échange « autoconstruction et apiculture » chez un apiculteur du département voisin ayant déjà fabriqué une telle chambre chaude ;
  • un mois plus tard, la tenue d’un chantier participatif à la miellerie pour fabriquer et installer l’équipement. Ce chantier est accompagné par l’Atelier paysan avec la participation d’une paysanne engagée localement à Solidarité paysans et de deux apiculteurs de la première matinée d’échange.

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Légende : Première matinée d’échange et passage devant la chambre chaude qui servira d’inspiration à Aude. Crédit : AP.

Regards en rural : l’action des compagnons bâtisseurs
Des liens ont aussi été tissés avec d’autres acteurs et actrices agissant en rural sur des thèmes connexes. Les Compagnons bâtisseurs accompagnent des personnes dans la rénovation et l’amélioration de leur logement. Traditionnellement présente dans les quartiers pauvres des zones urbaines, l’association met en place depuis quelques années des programmes d’auto-réhabilitation accompagnée en zone rurale. En Auvergne Rhône-Alpes, un programme porté avec la Mutualité sociale agricole (MSA) est spécialement dédié aux agriculteurs et agricultrices pour la réhabilitation de logements indignes ou énergivores. Une manière de lutter contre la précarité énergétique de nombreux paysan∙nes tout en redonnant du pouvoir d’agir.

Apprentissages et préconisations

L’importance du collectif et d’un projet concret
Dans les deux cas et au-delà de l’outil, c’est l’aspect collectif qui prime pour lutter contre l’isolement caractérisant bien souvent les situations de difficultés sur des fermes. La démarche propose également une entrée concrète de mise en action et en projet intéressante pour les personnes accompagnées et qui va dans le sens d’une ré-appropriation de son outil de travail. Même si l’aménagement réalisé ne révolutionne pas la situation générale (souvent marquée par des difficultés économiques, juridiques, personnelles), il redonne de l’élan. Satisfaite de l’outil et désireuse de continuer à améliorer son environnement de travail, l’apicultrice accompagnée souhaite participer à d’autres formations collectives au travail du métal.
La dimension plus large donnée à cet accompagnement permet aussi d’impulser une dynamique intéressante sur l’apiculture et l’autoconstruction sur le territoire et d’aller dans le sens d’une relation d’échange réciproque entre la personne accompagnée et les aidant·es. « Cela permet de sortir de la logique de charité. De tels moments ressemblent davantage à une journée classique de solidarité entre paysans. Tu viens en savoir plus sur un équipement, tu me donnes un coup de main, je te donnerai un coup de main plus tard » comme le résume Jean-Pierre Comte, formateur à l’Atelier paysan.

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Crédit : Xavier Remongin/Min.Agri.fr

Le temps et l’incertitude de l’accompagnement
Cet accompagnement illustre bien la réalité de l’accompagnement, de manière générale et peut-être encore davantage avec des personnes traversant des situations de difficultés. Il s’agit d’un chemin long et tortueux prenant souvent des directions différentes de celles imaginées au départ et inscrites dans les projets. Pour répliquer de tels accompagnements, il conviendrait de mobiliser d’autres montages financiers (Vivéa, réhabilitation, dynamique de chantier).
Avant de se lancer dans un accompagnement de ce type, des liens étroits entre l’association locale Solidarité Paysans et la personne accompagnée semblent nécessaires. Ces liens sur le long-terme sont également essentiels après le temps fort de l’accompagnement technique : par exemple dans le cas de l’accompagnement pilote pour continuer à accompagner l’apicultrice dans la suite de ses démarches juridiques.

Assurer l’accès à la formation pour les paysan·nes en difficultés
Du fait de redressements judiciaires ou de procédures de sauvegarde, des paysans et paysannes se voient couramment refuser le droit à la formation professionnelle. Une situation dommageable qui fragilise encore plus des personnes traversant des difficultés alors même que la formation pourrait contribuer à la consolidation de leur situation et de leur exploitation.

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Crédit : Solidarité paysans Rhône-Alpes.

Les partenaires de la MCDR UsageR·E·s proposent de systématiser la production par la MSA d’un certificat de régularité au regard de la contribution prévue à l’article L.953-3 du code du Travail, dès lors que le dividende annuel du plan de redressement et les cotisations de l’année ou de l’année N-1 sont réglés. Pour le moins, il conviendrait d’assortir l’ouverture des droits à la formation professionnelle non pas à la présentation d’un certificat de régularité à l’égard des cotisations sociales mais à la présentation d’un certificat de paiement de la seule cotisation Vivea.

Ressources

Articles UsageR·E·s
Apiculture et autoconstruction : des équipements adaptés à ses besoins et contraintes pour travailler plus confortablement
Faire soi-même, avec peu et avec d’autres
Autres ressources
L’agroécologie, un levier de redressement des exploitations fragilisées ? Solidarité Paysans, rapport, 2015-2020.
« Au nom de la Terre », film d’Edouard Bergeon, 2019
Site internet de Solidarité paysans regroupant des ressources sur les difficultés en agriculture et des propositions d’accompagnement.

Planche de l’exposition correspondante
Faire soi-même, avec peu et avec d’autres