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Paysannes : bilan de l’axe 1.3.2

Bilan de l’axe 1.3.2 : "Paysannes : faire soi-même pour ajuster son outil de travail".

Partenaires impliqués

Atelier paysan, Réseau Civam, Amap Île-de-France, groupes femmes des Civam du 44 et du 35 (Elles de l’ADAGE 35).

Contexte et objectifs

Du matériel calibré pour les hommes
De nombreuses paysannes témoignent d’équipements non adaptés sur les fermes : les outils sont souvent trop gros, trop lourds ou trop hauts et les agricultrices ne savent pas toujours bricoler leur matériel pour l’adapter. Cela pèse chaque jour sur leur sécurité, leur confort, leur efficacité mais aussi sur leur confiance en elles et leur légitimité à s’occuper du tracteur et des machines. Agriculture et machinisme : ces deux domaines sont encore largement masculins et très marqués par des stéréotypes et inégalités de genre. L’entretien du parc matériel reste une sphère très majoritairement masculine, avec des outils à l’ergonomie pas toujours adaptée à de plus petites morphologies.

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Travailler sur le rapport des paysannes à la technique
En proposant de travailler sur le rapport des agricultrices et futures agricultrices à la technique, le projet UsageR·E·s entendait intégrer la dimension du genre dans ses actions pour favoriser l’autonomie des paysannes. Après discussion et défrichage avec les partenaires concernés, deux axes d’action ont été arrêtés :

  • Intervenir auprès de paysans, paysannes et futur·es installé·es peu sensibilisé·es à ces enjeux : groupes non-mixtes lancés depuis peu et n’ayant pas abordé cette thématique, promotions d’élèves de BPREA, etc.
  • Accompagner des groupes de paysannes plus avancés dans ces réflexions pour concevoir et fabriquer en non-mixité des outils adaptés aux besoins exprimés.

Pour les partenaires du projet, l’objectif était de tirer des leçons d’accompagnements intégrant la dimension du genre et d’observer l’impact en termes d’émancipation et de reconquête d’autonomie pour les paysannes ainsi qu’en matière d’innovation par les usages. L’objectif était aussi de profiter de ces accompagnements pour former deux paysannes à devenir formatrices pour pouvoir avoir au sein du réseau de l’Atelier paysan des femmes en capacité d’encadrer des chantiers d’autoconstruction.

Réalisations

Des outils conçus et fabriqués par et pour des paysannes
Les paysannes des groupes femmes Civam Défis 44 et des Elles de l’Adage 35 s’étaient déjà informées et questionnées sur les questions techniques : temps d’échanges entre elles, rencontre avec un·e ergonome, participation à des formations techniques en non-mixité… C’est en s’appuyant sur ces bases qu’un accompagnement de l’Atelier paysan a été lancé au printemps 2020 pour imaginer et fabriquer des outils pour le maraîchage et l’élevage. Cette recherche et développement participative faite d’allers-retours avec les paysannes a permis d’affiner les besoins, d’explorer plusieurs pistes techniques et de déboucher sur des cahiers des charges pour 4 outils :

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La phase de fabrication a ensuite eu lieu en janvier-février 2021 lors de formations organisées entre femmes sur des fermes et a permis aux paysannes de s’initier ou se perfectionner aux bases du travail du métal tout en autoconstruisant leurs outils. Pour ces sessions, les formateurs de l’Atelier Paysan ont été accompagnés d’une maraichère habituée de l’auto-construction et ayant elle-même construit la plupart de ses outils. L’idée : faire en sorte que le savoir ne soit pas intégralement détenu par le seul homme du groupe mais aussi par une femme et faciliter, via cette présence, les questions et initiatives des participantes. Ces accompagnements ont aussi été l’occasion pour la paysanne de monter en compétences sur les aspects techniques et pédagogiques pour pouvoir animer à terme des formations.

Des interventions sur le genre et la technique
Le second volet d’action d’UsageR·E·s s’est lui traduit par des interventions sur la question du genre et de la technique en agriculture auprès de paysan·nes et porteurs et porteuses de projets dans des BPREA, des groupes non-mixtes en phase de démarrage (groupe femmes du Civam du Haut-Bocage, groupes femmes « Initiatives paysannes »). Si elles permettent de document les inégalités et stéréotypes de genre sur la question des équipements agricoles, ces interventions ouvrent aussi un espace de parole et de partage d’expériences pour les paysannes et futur·es paysannes.

Dans l’ensemble de ces interventions, des temps d’échanges en petit groupe étaient proposés en guise d’introduction pour encourager les participantes à creuser leur propre rapport à l’outil et à l’équipement agricole : confiance ? légitimité ? manque de connaissance ? sentiment d’être à l’aise dans ce domaine ou au contraire pas dans sa zone de confort ?

Parmi ces interventions, on retiendra notamment celle organisée en partenariat avec le Réseau des AMAP Ile-de-France, partenaire du projet, auprès d’étudiant·es en BPREA de l’Ecole du Breuil en région parisienne. Les échanges, en visioconférence COVID oblige, ont réuni une trentaine de personnes, principalement des femmes, qui ont pu partager leur vécu d’un domaine qui reste très genré et traditionnellement assigné aux hommes. Mais la piste de l’autoconstruction semble être synonyme de pouvoir d’agir pour certaines, à l’image d’une paysanne autoconstructrice du territoire témoignant lors de la soirée. Des envies de formation ou d’autoconstruction naitront peut-être de ces échanges ! L’Atelier paysan est aussi intervenu en 2020 devant le Conseil Économique, Social et Environnemental Régional (CESER) de Nouvelle Aquitaine afin de porter ces questions devant les collectivités.

Apprentissages et préconisations

Quand les réflexions sur l’ergonomie bénéficient à tous et toutes
Les enjeux d’ergonomie des outils ont été centraux dans les réflexions des paysannes impliquées dans le projet. Les équipements fabriqués devaient avant tout réduire la pénibilité de tâches régulières et limiter les ports de charges lourdes tout en étant maniables, légers et facilement réparables. « Si avec des outils plus adaptés, on pouvait aller voir moins souvent l’étiopathe ou l’osthéo ça serait bien ! », plaisante ainsi une paysanne du CIVAM Défis 44 pendant les travaux de conception. Un travail a donc été fait sur le poids et la taille des outils ainsi que le choix de certains matériaux afin de répondre aux besoins des paysannes.

Concernant l’utilisation des outils, les premiers retours sont intéressants : ils semblent soulager les paysannes qui les ont pensés et fabriqués mais aussi les autres personnes des exploitations, dont les conjoints collaborateurs hommes. On retrouve des observations similaires dans d’autres projets (Transaé, Carma) avec des innovations mises en place à la ferme par des femmes et qui bénéficient aussi fortement aux hommes de l’exploitation. Ces derniers ne s’étant jusque-là pas sentis concernés car évoluant avec du matériel pensé pour leur carrure ou ne s’étant peut-être pas autorisés la réflexion sur le poids des outils en lien avec des injonctions de la société associant force et masculinité.

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Légende : Plant du porte-tout, chariot de récolte pour le maraichage et les petits-fruits revu dans le cadre de la formation pour être plus petit et plus maniable.

La non-mixité : un format intéressant, notamment sur les questions techniques
« Un groupe de femmes ? Et pourquoi pas un groupe d’hommes  ? ». Cette réaction, les paysannes engagées dans des groupes non-mixtes la connaissent bien, traduisant tantôt de l’incompréhension, tantôt une crainte de division dans les groupes, les fermes ou les couples. Dans le réseau des Civam, une quinzaine de groupes ont été créés ces dernières années par des paysannes en demande d’un espace rassurant d’écoute, d’échange et de formation. Ces groupes non-mixtes se sont progressivement imposés et les réserves à leur égard ont laissé place à l’enthousiasme au sein du réseau.

Spécialiste des questions de genre, la chercheuse Clémentine Comer a retracé l’histoire de ces groupes féminins en agriculture. Nés dans le sillage du mouvement de la Jeunesse agricole catholique et de l’enseignement ménager, ils s’affirment dans les années 1970, resurgissent dans les années 2000 avec le débat sur la parité dans les instances de représentation professionnelle et ne cessent de se développer depuis. Ces groupes permettent aux agricultrices de rompre leur isolement, partager leurs savoir-faire, libérer la parole et de se rendre compte qu’elles ne sont pas seules à vivre certaines situations.

Dans le cas des accompagnements menés dans le cadre du projet UsageR·E·s, la non-mixité expérimentée sur des projets de conception et de fabrication ressort comme un élément favorable pour faire tomber des barrières psychologiques dans un cadre rassurant et monter en compétences sur le travail du métal et la question des équipements agricoles, un domaine bien souvent peu familier pour les paysannes. La présence d’une paysanne en référente, en complément des formateurs hommes, a aussi été souligné comme un choix pertinent pour faciliter les questions et interactions chez les participantes. Le groupe, existant et déjà constitué, apparaît enfin comme un appui pendant la formation pour instaurer un cadre de confiance et après la formation pour maintenir la motivation et entretenir l’autonomie dans la durée.

Formation métal femmes 2 - Crédit : Atelier paysan
Crédit : AP.

Des enseignements à tirer pour améliorer les autres formats d’accompagnement

Ce projet permet aussi de retirer des enseignements et pistes d’action pour améliorer les accompagnements à la recherche & développement et au travail du métal proposé dans des cadres mixtes. La pédagogie de chantier axée sur le collectif et le faire soi-même est ressortie comme un élément-clef pour favoriser une participation active de tous et toutes. La formation aux questions de genre des formateurs et formatrices a aussi été pointée comme un élément important afin de pouvoir ensuite être vigilant sur ces aspects pendant les accompagnements. La mise en place de temps de questionnement individuel et collectif pendant ces expérimentations ont mis en avant l’intérêt d’outils pédagogiques encourageant les stagiaires à exprimer leurs ressentis, craintes et positionnement sur les questions techniques. Enfin, la montée en compétences de femmes formatrices apparaît comme une piste intéressante pour animer des formations mixtes et non-mixtes et faire évoluer les représentations sociales sur les savoirs-techniques. Dans le cadre du projet, 2 formatrices externes paysannes ont été formées dans le cadre du projet. Par ailleurs, une formatrice interne a été embauchée.

Préconisations

Pour les organisations et leurs partenaires

  • Encourager les espaces de formation en non-mixité, notamment sur les enjeux techniques.
  • Rendre les espaces de formation en mixité plus favorables aux paysannes (posture des formateurs et formatrices, pédagogies privilégiant les apports des stagiaires, sensibilisation aux questions de genre, etc.).
  • Encourager les femmes formatrices dans nos réseaux, notamment sur des questions techniques.

Pour les pouvoirs publics

  • Intégrer les enjeux liés au genre dans le parcours à l’installation et la formation agricole dans des modules pratiques comme théoriques (notamment sur les questions techniques)
Ressources

Articles UsageR·E·s
Des outils fabriqués par et pour des femmes !
Interview de Clémentine Comer, chercheuse spécialisée sur le genre en agriculture et les groupes non-mixtes
S’installer paysanne : retour sur les rencontre inter-associatives du 8 juin
Intervention spéciale porteur-euse-s de projet sur l’auto-construction et le genre en agriculture le 25 janvier 2021
Plans des outils fabriqués dans le cadre du projet
o Adaptations plus ergonomiques de deux chariots de récolte, le porte-tout et du charimaraich
o Repousse fourrage
o Chariots de transport des piquets de clôture

Planches de l’exposition UsageR·E·s correspondant à cette axe
Les machines agricoles, destinées aux hommes ?
Quand le genre s’invite à l’atelier
Autres ressources
Film Devenir paysanne, Réseau des AMAP Ile-de-France, 2020. www.amap-idf.org/index.php ?rubrique_id=173.
Rapport de la FADEAR sur les femmes et l’installation agricole. www.agriculturepaysanne.org/L-installation-des-femmes-en-agriculture-une-enquete-de-la-FADEAR.
BD « Il est où le patron ? Chroniques de paysannes, Maud Bénézit et les paysannes en polaire, 2021.
Ressources du Réseau CIVAM sur la question du genre : www.civam.org/ressources