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[Tribune] Il faut en finir avec le Salon de l’agriculture

jeudi 9 mars 2023
[Tribune] Il faut en finir avec le Salon de l’agriculture

À l’occasion de l’ouverture du Salon international de l’agriculture à Paris, l’Atelier Paysan a publié le 25 février cette tribune sur le site de Libération, pour questionner le rôle que joue ce salon dans la défense du modèle agro-industriel.

Ce texte est l’occasion de rappeler la mise en ligne inédite de notre rapport (version intégrale) Observations sur les technologies agricoles (2021), disponible ici.

Cliquez ici pour lire la tribune directement sur le site internet de Libération

Il faut en finir avec le salon de l’agriculture
Le Salon international de l’agriculture (SIA) est chaque année un grand succès. L’an passé, l’édition post-Covid a réuni plus de 500 000 visiteurs, venus rêver devant des stands et affiches bucoliques avec de la paille dans les cheveux largement empruntés au folklore « paysan ». Au fil des travées, on s’imagine les vaches broutant dans les prés, les légumes poussant en pleine terre, et des agriculteurs fourche en main. Cette représentation, qui vante à l’envi la « diversité des modèles » ou des « agricultures plurielles » pour ne pas renoncer à l’agriculture chimique, est évidemment fantasmée.
 
En réalité, le modèle français est profondément agroindustriel, orienté vers la multiplication des fermes-usines et l’usage continu de pesticides et engrais de synthèse en dépit du désastre écologique et sanitaire. La production y repose toujours plus sur l’utilisation de machines agricoles et de moins en moins sur le travail humain, comme en témoignent les derniers chiffres du recensement agricole et surtout certaines campagnes vidées de leurs habitants.
Héritier du concours général agricole de Paris mais créé dans sa forme actuelle en 1964 par le ministre du grand élan de la « modernisation » agricole, Edgard Pisani, le SIA est depuis le reflet des multiples facettes que compte le complexe agroindustriel, mêlant politiques publiques, organes professionnels ou groupes privés, au détriment de l’intérêt collectif. Il incarne aujourd’hui logiquement le triptyque cher à Emmanuel Macron : « numérique, robotique, génétique », en mettant en scène des supposés atouts de l’agriculture 4.0, de la robotisation du travail et d’animaux de foire à la morphologie impressionnante mais déconnectée des réalités de la production agricole.
 

Critiques croissantes

 
Ainsi, le SIA est un dispositif fédérateur autour d’un message simple : le modèle actuel, le seul efficace et pertinent, connaîtrait simplement quelques travers qu’il faudrait corriger au moyen de quelques adaptations à la marge ; en particulier le recours à une technologie toujours plus sophistiquée pour réduire l’utilisation de pesticides et d’engrais de synthèse.
On comprend que les quelques milliers d’agriculteurs et agricultrices qui se retrouvent à ce rendez-vous folklorique se prêtent au jeu et revendiquent une forme d’attachement à « leur » salon. Ce besoin de rencontre et de fierté s’explique aisément par les critiques croissantes envers leurs activités, qui sont bien souvent le résultat de choix économiques imposés. Le SIA, qui devrait être le symbole de l’échec d’un modèle, devient l’étendard de sa défense, les agriculteurs s’identifiant à ce qui les détruit.
Le SIA n’est pourtant que la façade derrière laquelle se renouvelle et s’approfondit l’industrialisation du travail de la terre et de notre alimentation. Car derrière cette vitrine, on trouve nombre d’autres salons, moins connus, plus professionnels, au premier rang desquels le Salon international du machinisme agricole (Sima), sorte de lieu sacré et de pèlerinage du machinisme agricole, où se discutent les affaires « sérieuses », entre agriculteurs, concessionnaires, fabricants, organisations professionnelles et… personnels politiques.
 

Solutionnisme technologique

 
On trouve aussi d’autres salons, de taille plus modeste mais à l’impact tout aussi considérable sur l’imaginaire collectif de la profession agricole : salons techniques à vocation régionale, parfois même dédiés à l’agriculture bio (Tech & Bio en Rhône-Alpes, La Terre est notre métier en Bretagne, etc.) où le solutionnisme technologique fait presque office de religion. Le gigantisme machinique et la robotique agricole y apparaissent ainsi comme les voies uniques du progrès, de l’avenir agricole. Ce modèle est pourtant responsable de la dépendance énergétique de notre agriculture et de l’écrasement de toute voie paysanne émancipatrice.
Nous affirmons qu’il est urgent de faire le bilan de décennies de « modernisation agricole » basée sur le tout-machine et sur ses corollaires indispensables : la chimie, les semences industrielles, le développement jamais questionné de technologies numériques gourmandes en ressources et en énergie.
Faire ce bilan, c’est regarder en face la destruction de la biodiversité, des sols, du travail humain. C’est constater le remplacement du métier de paysan mêlant le sensible à la connaissance de son « pays » par celui d’agri-manager à même de piloter de façon standardisée l’exploitation de surfaces et /ou troupeaux toujours plus importants. Une trajectoire historique que nous avons documentée dans un ouvrage, Observations sur les technologies agricoles , que nous rendons accessible en ligne à l’occasion de ce salon.
 
Ce n’est pas d’un tel Salon international de l’agriculture dont nous avons besoin, mais de multiples salons ancrés dans les fermes de nos territoires. Chacun d’eux révélerait les pratiques diversifiées de l’agroécologie paysanne, mobilisant des cerveaux plutôt que des serveurs, à l’opposé d’une « transition agrotechnologique » dont le résultat ne sera que de conforter l’agriculture industrielle intensive dans sa fuite en avant insensée.

Libération