Retour d’un voyage au Brésil avec le MST : « Nous cultivons la terre, et la terre nous cultive »
lundi 24 février 2025
Du 7 au 26 janvier 2025, nous, 13 femmes, essentiellement paysannes, de la Confédération Paysanne, du réseau CIVAM et de l’Atelier Paysan, sommes allées à la rencontre du Mouvement des Sans Terre (MST) dans l’Etat du Pernambouc au Brésil. Ce voyage a été organisé par l’association AMAR de Rennes et RBS Réseau Bretagne Solidaire. Organisé par le MST, le programme contenait autant des temps de formation politique que des visites d’occupations, de communautés et de cantines solidaires. Les échanges avec les militant·es du MST, pour la plupart paysan·nes, furent nombreux et riches. Nous avons souhaité faire un retour collectif écrit de ce voyage.
NB : Cet article est publié dans le numéro à paraître du bulletin Correspondances Paysannes.
Illustration : crédit photo MST PE.
Durant 3 semaines en janvier 2025, nous, 13 femmes, essentiellement paysannes, de Bretagne et Rhône-Alpes, sommes allées à la rencontre du Mouvement des Sans Terre (MST) au Brésil.
Le Mouvement des Sans Terre est un mouvement de masse populaire. De masse, car depuis 40 ans il a permis l’installation de 450 000 familles sur des terres appartenant à la bourgeoisie de l’agro-business. Populaire, parce qu’il est ouvert à toute personne décidée à se battre pour une terre, la travailler, et que chacune de ces personnes participent activement à la politique du mouvement. Il n’existe pas de tel mouvement en Europe. Nos processus d’installation ne sont ni de masse, ni populaire.
Leur méthodologie d’action : l’occupation. Après avoir identifié des terres (terres de très grands propriétaires - les latifundios- , en monoculture, où les conditions de travail sont dramatiques ...), les militant·es du MST vont à la rencontre des classes populaires sans terre de la région. Un long travail de base est effectué, afin de les accompagner dans la prise de conscience de leurs droits, des inégalités et des injustices sur l’accès à la terre, et donc sur l’accès à leurs moyens de subsistance. Après plusieurs mois de rencontre et d’organisation, c’est à la tombée de la nuit, que des mouvements de 20 et parfois jusqu’à plus de 2 000 familles se mettent en action pour occuper ces terres ! Dès le lever du jour, tout le monde s’affaire à couper du bois, à trouver des bâches pour construire les cabanes dans lesquelles ils vivront temporairement, à travailler le sol , à mettre en place des réserves d’eau... Puis créer des "nucleo de base" (groupe de 10 familles) pour s’organiser et prendre des décisions, choisir des référentes et des référents par secteur (éducation, genre, production, jeunesse, santé, etc.),... C’est par toutes ces actions profondément politiques qu’un acampamento nait.
Mais ce mouvement déplait fortement à la bourgeoisie de l’agro-business (les propriétaires des terres, les agro-industries, les banques, les états...). La preuve en est, lors de notre séjour, la milice d’une grosse entreprise immobilière a assassiné 2 militants du MST et blessé 6 autres. Et comme le disent les camarades du MST : « Pas une minute de silence pour nos camarades assassinés, mais toute une vie de lutte ! ».
C’est justement par la lutte, ici juridique et politique, que les acampamentos du MST parviennent à être légalisés au bout de plusieurs mois, voir plusieurs années. Les acampamentos deviennent alors des assentamentos, où chaque famille obtient équitablement et légalement un droit d’usage des terres, la possibilité de construire une maison, un droit à la subsistance.
Nous nous sommes aussi questionnées sur l’agroécologie, qui n’est pas abordé de la même manière qu’en France. Chez nos camarades du MST, la protection de l’environnement et la production d’aliments sains sont deux notions fondamentales, mais la lutte contre les inégalités sociales, pour l’accessibilité de la terre à toutes et tous, est prioritaire face à la recherche des meilleures techniques de production. La lutte du Mouvement des Sans Terre passe donc par la défense d’une agriculture familiale qui nourrit et subvient aux besoins de la communauté, une lutte qui passe avant tout par l’émancipation humaine et la lutte contre l’agro-bussiness.
Le Mouvement des Sans Terre ne lutte pas que pour l’accès à la terre au coup par coup par les occupations. Il lutte également depuis 40 ans pour une réforme agraire populaire, c’est à dire la répartition et la socialisation des terres à l’échelle du Brésil. Ce qui explique son échelle nationale, ses alliances avec le Parti des Travailleurs de Lula, son institutionnalisation croissante... Des sujets qui font débat au sein du mouvement...
La lutte pour la Terre et la lutte pour une réforme agraire populaire sont inscrites, et n’ont de sens que dans un objectif fort de transformation sociale. Sinon quel intérêt d’avoir accès à la terre si les femmes continuent d’être battues sur celles-ci, si les plus riches conservent plus de pouvoir que les plus précaires, si l’éducation n’est pas accessible à toutes et tous, si les personnes noires n’ont pas accès cette terre, ... ?
Le Mouvement des Sans Terre nous a également mis en face de plusieurs manques dans notre classe paysanne française. Notamment celui du manque de formations politiques et d’espaces d’éducation populaire. Pourquoi les espaces populaires, comme ceux proposés par le MRJC [1], si nombreux dans les années 80, sont-ils si difficiles à trouver aujourd’hui ? Que sont devenues les Bourses du travail de nos grands-parents et arrière grands-parents ? Nous manquons terriblement d’espaces pour nous rencontrer, discuter, débattre entre pairs, nous organiser, nous former politiquement, mettre en place des actions sur notre territoire pour défendre nos droits, créer des caisses de solidarités, des cantines, ...
Le MST l’a bien compris, la formation politique est primordiale pour savoir qui nous sommes, pourquoi nous luttons et contre qui, et ainsi pouvoir transformer la société. Car rappelons-le l’objectif n’est pas seulement de produire, mais bien de transformer la société.
On retrouve donc de très nombreux espaces d’éducation populaire et politique au sein du mouvement : que ce soit pour les référent·es de chaque secteur, pour les cadres, les contributrices des cantines, pour l’ensemble de la base, ... Chaque interstice est prétexte à formation. Sans jamais oublier que le meilleur acte de formation est celui de la lutte en action, même 10 années de formation politique théorique assis sur une chaise ne sauront le remplacer !
Le Mouvement des Sans Terre nous a également mis face au manque criant d’internationalisme dans notre classe paysanne française. Nos fermes, nos territoires, nos productions sont inscrites dans une logique internationale. Nous ne pouvons pas démanteler seul·es dans nos territoires le système agroalimentaire mondial. C’est en se nourrissant des luttes menées ailleurs, en ancrant nos luttes locales dans une lutte internationaliste que nous pourrons alors espérer démanteler l’agro-business. L’internationalisme n’est ni un rêve, ni une théorie à étudier, c’est une stratégie collective de survie. Comme l’on écrit Les Peuples Veulent dans leur manifeste l’année dernière :
« Seules trois options se présentent à nous : continuer à regarder l’Empire nous entraîner dans l’abîme en faisant mine de ne pas savoir où il nous mène ; céder à la panique générale et rester prostré·es en attendant la fin ; ou organiser méticuleusement notre plan de sortie en faisant le pari que de l’improbable nous allons extraire le possible. C’est non seulement pour survivre mais aussi pour enfin bien vivre, qu’il nous faut retrouver un horizon révolutionnaire internationaliste. »
Un horizon révolutionnaire oui, car nous aspirons à une transformation sociale radicale où ce ne sont plus les grands propriétaires agricoles qui continuent de s’agrandir en empêchant d’autres de s’installer, où ce ne sont plus les autres politiciens qui décident pour nous, où l’extrême droite n’est plus une menace vitale pour des milliers de personnes, ...
Le Mouvement des Sans Terre nous a également rappelé que la lutte pour cet horizon est joyeuse. A chaque rencontre, une Mistica avec des chants entrainants, des poèmes scandés, de la nourriture partagée, des photos. Créer des rites pour marquer les rencontres, les actions, les temps de formation, réenchanter la lutte pour continuer à s’indigner et à rêver.
Nous, paysannes, nous nous questionnons désormais sur comment nous inspirer concrètement de ces rencontres et de ces transmissions reçues pour nourrir et renforcer nos luttes.
Quels processus pour que chaque personne, quelque soit son milieu social, sa diversité sexuelle et de genre, son origine supposément raciale ou ethnique soit inclue depuis là où elle se situe dans le processus de formation politique et d’émancipation collective ? Comment transposer cette stratégie de massification au sein de nos luttes paysannes et rurales en France ? Comment reprendre la terre et ses moyens de subsistance depuis une perspective populaire et intersectionnelle ?
Dans les acampamentos et les assentamentos, nous nous sommes reconnues entre camarades, nous nous sommes donné de la force et de la joie pour nos luttes.
Nous rentrons avec l’envie forte d’œuvrer à la transformation sociale.

"Grupo de mulheres camponesas da França participam de intercâmbio com MST em PE", mst.org, 14 janvier 2025 (Photo : MST PE)